Tuesday, June 26, 2012













Les barbus de l'apocalypse

À quoi reconnaît-on un barbu sunnite ou chiite ? Mais à sa barbe, pardi ! Quid des sunnites et chiites sans barbe ? Ceux qui se comptent par centaines de milliers et qui forment des masses anonymes et compactes prêtes à toutes les damnations sans la moindre hésitation. Ceux-là, on en parle peu, mais ils sont tout aussi engagés que les premiers (leurs meneurs) dans la même course vers l'abîme, cette Fitna qui n'ose pas dire son nom et qui commence, nolens volens, à se propager comme une traînée de poudre.

Deux super barbus se détachent du lot au Liban. Ils ont en commun une étonnante facilité de communiquer avec l'Au-delà, mais aussi de le faire savoir aux moutons qui les suivent à la vie, à la mort. Un choc frontal les oppose, et l'un comme l'autre, prétendent agir pour le bien de tous. Le premier, Hassan Nasrallah, occupe la scène depuis des lustres, il a réussi, à coup de victoires divines et de discours incendiaires, à s'assurer une adhésion quasi totale de la communauté chiite et à terroriser toutes les autres. Le deuxième, Ahmad Al-Asîr, n'est qu'un novice, mais il commence à jouir d'une certaine popularité au sein de la communauté sunnite adverse. D'abord parce qu'il comble un vide laissé par la fuite de l'impudent Saad Hariri, occupé depuis son éviction du pouvoir à cuver sa rancune comme un gamin inconsolable à qui on a arraché un jouet qu'il croyait lui revenir de droit; et ensuite parce qu'il ose dire tout haut ce que les sunnites chuchotent à peine. Quelques coups de griffe contre Hassan Nasrallah, contre les chiites et contre le boucher syrien et les vivats sunnites lui ont été vite acquis.

Ahmad Al-asîr n'a pas l'air d'apprécier du tout les sahsouhs* liftés croisés assénés à sa communauté par le barbu chiite, et encore moins le dédain de chat persan que ce dernier lui oppose. Aussi, il multiplie les bravades pour le forcer à sortir de son mutisme. Et voilà notre freluquet salafiste qui ose une figure de style à l'emporte-pièce (montrer à Hassan Nasrallah et à Nabih Berri les étoiles en plein midi), mais dont il est sûr de l'effet dévastateur. Et, ce qui devait arriver arriva. Les sunnites ont exulté pour avoir été vengés, ne serait-ce que par le verbe et les chiites ont vu rouge à défaut d'admirer les étoiles invisibles en plein jour. Les plus excités d'entre se sont même lancés dans une expédition punitive contre le siège de la télévision Al-Jadid qui avait eu l'outrecuidance d'inviter la raclure sunnite à une heure de grande écoute.

Les manuels d’histoire continuent encore aujourd'hui à expliquer les massacres entre druzes et chrétiens en 1860 par une simple dispute de gamins jouant aux billes. Les mêmes manuels raconteront peut-être un jour que la Fitna entre sunnites et chiites aura été provoquée par des sahsouhs mal encaissés et des étoiles qui surgissent en plein jour.

* On juge de la qualité d'un "sahsouh" par le son répercuté qu'il produit au moment où il est administré. Cette claque assénée d’un seul grand coup de paume sur la nuque est souvent ressentie par la victime comme une humiliation insupportable. D'abord, parce que le sahsouh arrive toujours à l'improviste, ensuite parce que celui qui le subit n'a aucun moyen de le prévenir, et enfin parce que sa "morsure" est aussi douloureuse que la piqûre d'une guêpe. Lorsqu'il tombe en virevoltant, la victime a souvent la tête ailleurs.